Tribune “La recherche historique au sein d’un ministère de l’Éducation nationale sans mémoire est sacrifiée” : la tribune du CHIMEN

La SFHPo partage et relaie la tribune « La recherche historique au sein d’un ministère de l’Éducation nationale sans mémoire est sacrifiée » publiée hier à l’initiative des collègues membres du Comité d’histoire du ministère de l’Éducation nationale (CHIMEN) dont vous trouverez le texte ci-dessous.

Dans le contexte budgétaire que chacun connaît, certains voudraient faire croire que les comités d’histoire des ministères en général, et celui du ministère de l’Éducation nationale en particulier, sont des organes à la fois budgétivores et stériles. Les membres, toutes et tous bénévoles, de ce comité ne peuvent accepter d’être ainsi pris pour cibles sans être aucunement soutenus par une administration qui, avant l’arrivée de la ministre actuelle, a elle-même accrédité par son inertie cette réputation d’accessoire inutile.

Le Comité d’histoire du ministère de l’Éducation nationale (CHIMEN) a été créé par Jean-Michel Blanquer par décret du 21 mai 2019, avec pour missions de « susciter des travaux historiques, de contribuer à leur diffusion, de favoriser les échanges dans le domaine de l’histoire de l’éducation, en relation avec la communauté universitaire, et la mise en valeur du patrimoine et des archives de l’éducation ». Ses membres ont été nommés par arrêté du 4 décembre 2019 pour une durée de quatre ans. Depuis lors, leurs travaux n’ont suscité l’intérêt du ministère que par exception, chez quelques individualités dont le séjour rue de Grenelle évoque l’éclat fugitif de l’étoile filante plutôt que le sillon du laboureur.

En décembre 2022, une fois traversé le plus dur de la pandémie, l’historien successeur de Jean-Michel Blanquer n’a pas jugé bon de prolonger ou de changer par un nouvel arrêté la composition du comité. Il a fallu attendre pour cela l’arrêté du 22 avril 2024. La ministre Nicole Belloubet l’a réinstallé le 12 juin dernier, dans le moment de liberté que lui laissait la gestion des affaires courantes. Nous lui avons rappelé qu’elle comptait parmi les témoins interrogés dans le cadre de la collecte d’archives orales sur les prises de décisions politiques menée par le Service d’histoire de l’éducation entre 1990 et 2011. Celle-ci ne lui avait laissé aucun souvenir. Nous lui savons gré d’avoir reconnu d’autant plus volontiers l’urgence que nous entendions donner à la relance de cette enquête interrompue déjà faute de moyens. Madame Belloubet a tenu aussi à remettre, le même jour, le prix Robert Mallet attribué tous les deux ans à une ou deux thèses d’histoire de l’éducation. Il est vrai que les lauréats de la dernière édition attendaient leur prix depuis… deux ans. Le montant de ce prix, 5 000 euros, est à peu près tout ce que le comité a coûté au contribuable au cours de sa précaire vie. On voit par là l’économie substantielle que sa disparition pourrait permettre.

En vérité, l’indifférence dont le ministère fait preuve pour sa propre histoire se manifeste jusque dans l’absence de toute réflexion sur le périmètre même du comité, qui n’a fait l’objet d’aucun échange avec le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Ce n’est pas qu’on ait sciemment voulu s’en tenir à l’organisation actuelle, par nature changeante : on a simplement évité de se poser la question, ce qui a d’ailleurs eu pour effet que, rue Descartes, peu avant que l’air du temps pousse à vilipender les comités d’histoire, on envisageait d’en créer un alors même que le CHIMEN revenait à la vie.

Il est significatif que l’on préfère aujourd’hui s’attaquer à des professionnels de l’enseignement et de la recherche, animés d’un intérêt strictement scientifique, plutôt que d’encourager leurs efforts pour sensibiliser les administrations à la conservation, au versement de leurs archives et à l’utilité sociale de leur histoire.

On en vient à se demander si la liste des empêchements et limitations, fastidieuse à dresser pour qui les a subis, a la moindre chance de faire porter la critique sur ce qui la justifierait le mieux : l’indifférence à la relation entre la recherche et l’enseignement de l’histoire, 364 jours sur 365, c’est-à-dire exception faite de l’opération de communication rituelle aux Rendez-vous de l’histoire de Blois ; le désintérêt pour un Musée national de l’Education installé dans une maison médiévale, à Rouen, et sous une tutelle elle-même dans le collimateur des gestionnaires éclairés qui traquent les dépenses inutiles ; l’absence de réflexion sur l’utilité de l’histoire du système éducatif dans la formation des enseignants et l’absence de considération pour celles et ceux qui ont le mauvais goût de vouloir enseigner dans le secondaire tout en poursuivant un projet de recherche.

Les membres du CHIMEN sont les descendants du « bon citoyen » dont Charles Péguy disait, dans Clio, qu’il « n’a pas besoin d’espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer ». Le peu de lumière qu’on a projeté sur eux dans l’intention de nuire à une activité largement empêchée ne fera que les renvoyer à la tranquille obscurité de leurs études. En somme, cette attaque, absurde quant aux économies que la suppression du CHIMEN permettrait de réaliser, n’a de sens que comme illustration d’un large consensus, introuvable autour de la préparation du budget, mais solidement installé pour sacrifier à d’autres impératifs la recherche historique au sein d’un ministère sans mémoire.

Mais peut-être la nouvelle équipe en place depuis l’été aura-t-elle à cœur de nous démentir et de faire enfin, pour l’éducation, ce qui est fait depuis longtemps pour la culture, la jeunesse et les sports, la défense, l’agriculture et, depuis le mois de mars, pour les « administrations chargées de la santé » ?

Pour accéder à la version en ligne : https://www.marianne.net/agora/tribunes-libres/la-recherche-historique-au-sein-dun-ministere-de-l-education-nationale-sans-memoire-est-sacrifiee

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